mercredi 22 octobre 2014

Rectification d'oublis

J'ai porté plainte un vendredi, juste avant la fermeture du commissariat. Le lundi suivant, l'OPJ m'appelait en m'apprenant que le procureur avait mis en route la procédure.

J'avoue que j'en ai été surprise. L'OPJ m'avait prévenue plusieurs fois que, peut-être, on considérerait qu'il n'y avait pas assez d'éléments pour aller plus loin. Je lui avais chaque fois répété que ce n'était pas grave, que je portais plainte parce qu'on m'avait dit que ça placerait automatiquement le nom de mon violeur dans un fichier de la police libellé "a été accusé de viol, faire gaffe si ça se reproduit", et que je n'étais pas là pour jouer les amazones vengeresses et jeter Machin derrière les barreaux.

[Aparté]
"Dis pas ça Gingeolin, tu seras soulagée s'il part en prison !" 
Cher interlocuteur imaginaire, ta gueule. Ce qui me soulagerait, c'est la certitude qu'il a compris ce qu'il m'a fait et qu'il ne recommencera jamais. Parce que figure-toi que je ne l'ai pas, cette certitude : on parle d'un mec qui m'a dit qu'il ne contrôlait pas ce qui se passe entre ses jambes et qu'il avait donc été obligé de prendre le contrôle de ce qui se passait entre les miennes. (La logique, ouh là là.)
Bref, je ne crois pas que la prison garantisse ça. Donc je me fous de savoir s'il y échouera ou pas. Capiche ?
[/Aparté]

Pour revenir à mes moutons, je pensais donc réellement ne pas avoir donné assez d'éléments, ou ne pas m'être trouvée dans un cas de gravité suffisante. Le coup des éléments qui desservent, vous vous souvenez ? Je pensais avoir rempli la grille du bingo de ceux-là, et que du coup les moyens de la Police seraient plutôt consacrés à des gens qui en ont vraiment besoin.

[Aparté]
... Comme ce type dans la file d'attente du commissariat qui avait reçu une contravention et ne voulait pas la payer. Il était juste avant moi, il a tenu la jambe au type de l'accueil pendant dix minutes. Oooooh je l'ai aimé, lui. Ooooooh que je l'ai aimé.
[/Aparté]

Apparemment, la bonne idée que j'ai eue, c'est d'avoir été traumatisée au point d'avoir bavé à tout mon entourage ce qui s'était passé dans la nuit du jeudi 6, et ce dès le vendredi 7. Résultat, j'ai cité au cours de mon dépôt de plainte mes trois collègues et mes deux colocataires, qui sont à présent toutes allées témoigner de ce que j'avais l'air très très pas bien, et que je me plaignais d'avoir été très très violée.
C'est ce que j'ai de plus proche de témoins oculaires.

[Aparté]
Figurez-vous que ça me travaillait l'esprit, ça : "Ciel, je n'ai pas de témoins oculaires". Je me doute que vous trouvez ça stupide mais n'oubliez pas que je suis une femme violée, ça me rend un peu conne quand il s'agit de raisonner sur ce qui m'est arrivé. Non, je ne suis pas en train d'insulter toutes celles à qui c'est arrivé, je me connais, c'est tout. "Ciel, je n'ai jamais pensé à mettre la chambre de mon meilleur ami sous vidéosurveillance pour le cas où il lui viendrait l'envie de me violer !" Faut-il être conne.
[/Aparté]

L'autre bonne idée, c'est de m'être laissée diriger vers l'hôpital. Bref, la bonne vieille blague : je ne peux pas prouver que j'ai été violée, mais je peux affirmer que j'ai été prise en charge comme une victime de viol. L'OPJ a même dit que c'était pas mal sympa de ma part parce que certain/es ne supportent pas l'idée de prélèvements et de constatations juste après les faits, ce qui peut, euh, se comprendre à vrai dire.

[Aparté]
J'ai déjà dû sous-entendre quelque part que si j'ai porté plainte, c'est aussi pour pouvoir déclarer avec une intense mauvaise foi "mais c'est pas bien compliqué de porter plainte, même moi je l'ai fait, laissez pas votre violeur dans la nature ma petite" si jamais je rencontrais une victime. Du coup, je n'arrête pas de considérer ce que je m'estime capable d'affronter comme l'étalon auquel les victimes devraient correspondre. Je sais que c'est mal, que c'est à deux doigts de la culpabilisation. Je ne sais pas comment ne pas faire ça.
[/Aparté]

Du coup, je trouve que mon cas particulier est assez positif pour les victimes en général. Pensez, on est dans un cas où :
- Il n'y a pas de témoin
- Ça se passe au domicile du violeur où la victime s'est volontairement rendue
- Ils ont déjà couché ensemble de façon consentie "mais là c'était pas pareil j't'y jure madame"
- La victime a malencontreusement oublié de partir en courant et en hurlant du lieu des faits
- La victime n'avait pas tellement de marques de violences sur le corps, comme dans "pas du tout", et avec le bol que j'ai pas de traces d'ADN de l'agresseur non plus
... Et on poursuit l'enquête quand même ! Sur ma bonne bouille ! Vous vous rendez compte ?

lundi 20 octobre 2014

Soutien familial

Bon.

Cet article va être un peu plus personnel et un peu moins intéressant, j’en suis navrée.

Dans mon entourage, j’ai globalement été bien soutenue suite à mon viol. Les personnes à qui j’en ai parlé se sont scandalisée des faits, m’ont mis des petites tapes dans le dos et m’ont affirmé que, si j’avais besoin de quoi que ce soit, je pouvais le leur demander.

Toutes, sauf deux.

Mes parents.

Pourquoi ? Je ne sais pas. Dans les éléments de réponse, ils ont apparemment pratiqué dans leur jeunesse ce qu’ils appellent du « sexe par surprise », ce qui signifie semble-t-il « commencer la pénétration tout seul et croiser très fort les doigts pour que le partenaire soit content en se réveillant ». Ils ont réussi à comprendre que c’est ce qui m’était arrivé. Comme si je ne leur avais pas précisé que mon violeur avait pris le risque de me mettre enceinte. Comme si je ne leur avais pas précisé qu’il avait manifesté son envie de se « branler à l’intérieur » et qu’il était persuadé que je ne me réveillerais pas s’il était assez discret. Comme si j’étais trop con pour faire la différence entre quelqu’un qui veut me procurer du plaisir et quelqu’un qui me veut du mal.

Après mon dépôt de plainte, que, dois-je le préciser, ils n’ont pas encouragé, je leur ai révélé que je l’avais fait, que je ne retirerais pas ma plainte, et que s’ils n’étaient pas contents j’avais l’intention de me tirer de chez eux.

Ils ont aussitôt, dois-je le préciser, eu la réaction la plus logique qui soit : prendre la défense de mon violeur et me culpabiliser pour mon dépôt de plainte. Sûr. Normal. Ta gamine t’annonce en pleurant qu’elle essaye d’obtenir réparation pour le crime qu’elle a subi, forcément, tu défends le criminel, c’est ton travail de parent.

S’en est suivi un débat de trois quarts d’heure en trois phases :

1] Est-ce du viol ?
2] Est-ce visé par le Code Pénal ?
3] Était-ce la bonne chose à faire que de porter plainte ?

Ils m’ont tout fait.

Phase 1 : est-ce du viol ?

- La discussion fut difficile jusqu’à ce que vienne enfin sur le tapis leur histoire de sexe par surprise. Il a alors fallu que j’avance point par point ce que mon violeur m’avait dit qui ne collait pas avec cette hypothèse : le fait qu’il ne comptait pas me réveiller, qu’il voulait juste prendre son plaisir et pas m’en donner, qu’il m’avait culpabilisée après les faits au lieu de me consoler… (Ce dernier argument a remporté la partie : apparemment, dans le « sexe par surprise », quand le partenaire s’est réveillé et n’est pas content, il faut s’excuser de la surprise et promettre qu’on ne le refera plus.)

Phase 2 : est-ce visé par le Code Pénal ?

- Pour mon beau-père, « s’il ne t’a pas frappée, ce n’est pas du viol ». Or, c’est faux. L’article 222-23 du Code Pénal définit qu’il y a viol s’il y a pénétration par violence, contrainte, menace ou surprise. J’ai déjà évoqué plusieurs cas dans cet article avec l’analogie bizarre sur les bagarres amicales. Ici, c’est la surprise. Au bout de mon douzième « mais va sur Internet, va voir le Code Pénal, article 222-23, tu verras si j’invente », ils ont lâché la partie.

Phase 3 : était-ce la bonne chose à faire que de porter plainte ?

- La grande question. « Si quelqu’un a commis un crime, faut-il le punir », en gros, en résumé. Il a donc fallu que je prouve que c’était bien un crime et pas « une maladresse », et qu’il s’agissait de la bonne punition… ou plutôt de la seule… Il a fallu que je prouve que l’acte de mon violeur n’était pas irréfléchi mais préparé, et pas une erreur qu’il ne commettrait pas à nouveau mais une pulsion qu’il n’avait pas su contrôler et qu’il ne saurait pas contrôler à l’avenir. Il a fallu que je leur fasse reconnaître que les institutions telles qu’elles sont ne m’offraient que deux possibilités : soit ne rien faire, soit porter plainte, et que c’était ne rien faire, la mauvaise solution.

Le bêtisier : parce que je devais faire quelque chose de l’insomnie après la dispute, et parce que ça pourrait vous servir.

Je vous les mets pêle-mêle.

« Bon, ben là, sa carrière de prof, elle est finie avant d’avoir commencé… »
Sûr ! L’Éducation Nationale manque de violeurs, je devrais avoir honte de l’en priver. Quoi, si je ne me sens pas mal de lui bloquer le seul emploi qu’il a jamais envisagé ? Euh, et pourquoi ai-je attendu six mois, six mois de peur, six mois de honte, à votre avis ? Parce que j’étais persuadée que je devais être sympa avec mon violeur et que je devais penser à ne pas trop lui pourrir la vie. Mais au fait, je veux faire quoi, plus tard, moi ? Ah oui : cadre. Un taf où vous êtes censé avoir de l’autorité et être le contraire d’une victime. Du coup, ma carrière à moi, elle n’est pas finie avant d’avoir commencé ? Et combien d’autres vies pourraient finir avant de commencer, si son premier viol n’a eu aucune conséquence pour lui ?

« Ah d’accord, je comprends ! Tu as peur que Paul pète les plombs et commette un vrai viol ! »
Vrai ? Vrai ? Comme dans véritable, véridique, digne de ce nom ? Tu les vois, les larmes, couler de mes yeux ? Tu les as eus, mes cauchemars ? Tu les as vécues, mes terreurs ? Tu es sérieux, là ?

« Écoute, je suis sûr que si tu regardes dans le Code Pénal tu ne trouveras rien qui s’applique à ton cas. »
Article 222-23. Celui qui définit le viol en fait. Nul n’est censé ignorer la loi mais j’aimerais que tu m’expliques pourquoi tu es persuadé de la connaître par cœur alors que tu ne l’as jamais étudiée.

« Mais finalement elle était pourrie depuis le début votre relation, pourquoi tu le fréquentais ? »
Ah parce que ça ne vous est jamais arrivé d’avoir un ami un peu lourd mais qu’on aime bien quand même ? Vous savez, les violeurs ne se baladent pas avec écrit « violeur » sur le front. Sinon, il y aurait moins de viols. Est-ce que vous ne seriez pas en train d’essayer de me faire comprendre que s’il m’a arraché ma dignité de force, s’il s’est servi de mon corps comme il se serait servi d’un cadavre, c’est que je l’ai un peu cherché quand même ?

« Tu sais, Paul, c’est quelqu’un qui nous disait qu’il n’attendait que de te sauter, on trouvait ça attendrissant. »
Euh, cool. J’aurais peut-être aimé le savoir. Non parce que ce n’est pas exactement une façon classique d’exprimer le désir, voyez-vous : la société nous apprend à planquer ça derrière des « j’te kiffe fort BB » et autres niaiseries. Alors, que ce soit franc, je ne dis pas, mais ça dénote une certaine tournure de pensée quand même. Le genre qui m’aurait donné envie de me barrer en courant. Ou seulement de ne même pas envisager de coucher avec lui pour lui éviter de confronter ses fantasmes à la dure réalité, qui fut que je n’étais pas celle qui résoudrait ses problèmes d’érection.

« Ben oui, on ne t’a peut-être pas apporté le soutien que tu attendais mais la situation n’avait pas l’air si alarmante que ça. Je veux dire, tu pleurais à chaque fois qu’on en parlait, alors on n’y comprenait plus rien. »
Et donc, quand quelqu’un pleure de façon incontrôlée en reportant un événement, c’est plutôt une preuve qu’il a un impact émotionnel désastreux sur lui ou qu’il est en train de mentir ? Hein ? Oh ? Je veux dire, je n’étais pas le genre de gamine qui pleurait pour avoir un poney, alors à quel moment avez-vous intégré que toutes les larmes de mon corps = pas grave ?

« Tu sais, à chaque fois que je t’ai encouragée à coucher avec Paul, je l’ai fait en tant que parent, pour que tu apprennes à t’amuser. »
Et si tu t’étais mêlé de ton propre cul ? Tiens, oui, si on en parlait ? Imaginons un monde où ton comportement vis-à-vis du sien n’aurait pas encouragé Paul à me poursuivre et finalement à me violer ? Quoi, j’exagère ? Pourquoi tu mets tant d’énergie à le défendre alors, on croirait que tu connais un meilleur coupable !

« Mais en quoi porter plainte t’a aidée ? Tu me fais l’effet d’une femme qui cherche à se venger, c’est malsain, consulte un psy. »
Ah parce que chercher justice, c’est se venger ? C’est quoi le bon comportement, alors, « oublier et pardonner » ? Me désintéresser de son cas, peu importe qu’il viole quelqu’un d’autre ou pas ? Et à quel moment ai-je prétendu que ça remplaçait une consultation chez un psy ? Et à quel moment as-tu oublié que ma lenteur à porter plainte a laissé un violeur dans la nature pendant plus de six mois ?

« Tu te rends compte de ce qu’on fait aux violeurs en prison ? »
On les viole ? Noooon, pas possible. C’est terrible ça. Je compatis. Si tu savais comme je compatis. Ah, si seulement il avait fait des choix de vie qui l’auraient conduit à ne pas risquer la prison ! En fait quand on y réfléchit bien il l’a un peu cherché quand même ? Plus sérieusement : je sais que la prison n’est pas un lieu miraculeux où les gens cessent d’être des criminels. Mais quel autre choix ai-je ? Il n’existe pas d’autre procédure que le dépôt de plainte ! C’est ça ou le laisser oublier que ce qu’il a commis est grave, illégal et a provoqué un traumatisme important chez sa victime !

« Tu dis que tu as porté plainte parce que Paul pourrait recommencer, mais je ne vois pas en quoi ça te concerne ? »
Je suis, aux dernières nouvelles, sa première victime. Si je me manifeste, si je dis « cet homme m’a violée, cet homme est un violeur », je rends possible de garder ce compte à 1. Si je ne fais rien et qu’il recommence… Comment suis-je censé ne pas me sentir coupable ?

« Tu aurais dû le quitter dès que tu as vu qu’il avait des troubles érectiles, c’est que des problèmes ces gens-là. »
Euh, c’est quoi ces préjugés de merde ? Félicitations si ta bite fonctionne, mais ne te sens pas obligé de l’étaler dans la tronche des gens qui ont moins de chance ! J’ai rencontré un homme, peut-être le plus doux que j’aie jamais fréquenté, chez qui ça ne fonctionnait pas. Tout simplement pas. Il l’acceptait, le regrettait parfois, mais ne m’a jamais culpabilisée pour le fonctionnement de sa propre anatomie. Et si le problème ce n’était pas « les gens avec des troubles érectiles », mais « la société qui te traite de merde si le sang ne passe pas comme il faut dans tes corps caverneux » ?

« En même temps, s’il ne s’en prend qu’aux filles à poil dans son lit… »
En même temps, quand une fille est à poil dans ton lit, c’est que vous êtes assez intimes pour que tu la réveilles et fasses l’amour avec elle ! En même temps, ne violer qu’une fille à poil dans son lit, c’est déjà un viol de trop ! En même temps, s’en prendre à une fille à poil dans son lit, c’est peut-être le déclic nécessaire pour trouver la motivation de droguer une fille dans un bar, d’agresser une fille en pleine rue ou de faire du chantage à une de tes élèves !

A propos de la plainte

Je suis très en retard pour cet article. A ma décharge, j’ai vite enchaîné entre le dépôt de plainte et le départ précipité de chez mes parents, puis j’ai vécu sur des canapés successifs. (Je suis SDF, sans emploi et violée, c’est la grosse joie en ce moment, je ne vous le cache pas.)

Donc, le dépôt de plainte. Qu’en dire. J’ai eu de la chance, parce que je suis tombée sur une OPJ qui, je crois, en avait quelque chose à faire.

(Mais, s’il faut détailler mes déboires préliminaires, je me suis d’abord rendue dans un commissariat où on a refusé de prendre ma plainte et où on m’a dit de me rendre dans un autre commissariat. Sans me donner l’adresse de cet autre commissariat, parce que ce serait trop simple. La Police fait partie de l’Administration française, alors qu’en attendre d’autre ?
Normalement ça ne peut pas vous arriver, parce que balancer à la victime d’un viol que le commissariat dans lequel elle se trouve ne prendra pas sa plainte et qu’elle n’a qu’à aller ailleurs, c’est illégal. Si si, illégal.
Enfin, tout ça pour dire que cet incident n’a pas grande importance dans l’absolu.)

Ce que je peux noter d’intéressant sur le dépôt de plainte :

- L’OPJ tape vos déclarations au fur et à mesure. Ça implique des fautes de frappe et des morceaux de phrases qui ne vont nulle part. A moins que l’OPJ ne soit complètement obtus/e, ça se corrige à la fin. Il vaut mieux, d’ailleurs : c’est envoyé au procureur de la République qui en a des pelletés à lire par jour, de plaintes, alors autant lui faciliter le boulot en rendant la vôtre lisible. En gros : le PV est un brouillon. Corrigez le brouillon.

- L’OPJ reformule plus ou moins tout ce que vous dites pour le faire rentrer dans des cases et virer les trop grandes hésitations, sauf dans le cas où il/elle trouve votre formule poignante et/ou rigolote. Exemples : J’ai soufflé un « personne ne croira ça, c’est surréaliste », que j’aurais voulu virer de mes déclarations, mais l’OPJ a répondu « non non, on garde, c’est marrant ». Je lui ai fait enlever des petits rajouts de sa part que je trouvais trop larmoyants. Je n’ai pas réussi à lui faire écrire quelque chose que je voulais mais qu’elle trouvait ambigu (« je ne peux pas arrêter d’être violée »). En gros : le PV est moins un témoignage qu’une rédaction de français. Faites en sorte que ce soit votre rédaction de français et pas celle de l’OPJ.

- L’OPJ est aussi là pour décourager les fausses déclarations. Il/elle vous indiquera plusieurs fois que si, finalement, vous vous dites que vous exagérez, que ça ne s’est pas passé comme ça et que vous avez raconté des salades sur votre présumé violeur parce que vous étiez en colère contre lui pour d’autres raisons, il vaut mieux sortir du commissariat tout de suite. Que si vous persistez dans votre plainte et qu’il est prouvé que vous avez fait de fausses déclarations, on portera plainte contre vous pour le temps et l’argent que vous avez fait perdre à l’État au cours de l’enquête. C’est difficile à entendre, mais l’OPJ ne peut pas ne pas envisager cette possibilité. Il existe malheureusement des femmes qui commettent de fausses déclarations de viol, et certaines pleurent très bien sur commande. (Plus terrible encore, c’est beaucoup plus facile à une fausse violée de porter plainte qu’à une vraie… Elle n’est pas empêchée par sa propre honte…) Le viol est un des crimes les plus graves selon nos normes sociétales actuelles, faire une fausse déclaration de viol est très grave, et si votre violeur peut prouver qu’il n’a pas pu vous violer parce qu’il n’était pas là au moment des faits, vous êtes mal.
… Mais, franchement, dans votre cas à vous, comment votre violeur est-il censé faire pour prouver qu’il était ailleurs alors que vous savez très bien où était toute son anatomie le jour des faits ? Il faudrait qu’il parvienne à faire témoigner faussement quelqu’un d’autre. Si dur que ce soit, je recommande de souffler un bon coup, de regarder l’OPJ dans les yeux et de lui dire que vous ne craignez pas de procès pour faux témoignage. En gros : l’OPJ ne peut pas être certain/e de votre bonne foi. Soyez-en certain/e à sa place.

- L’OPJ veut tout savoir. Tout, c’est tout. Ça comprend les détails dont vous avez honte (« je n’ai pas quitté l’appartement après le viol, pourquoi ne me suis-je pas enfui/e ? »), ceux dont vous pensez qu’ils vous desserviront (« j’avais déjà couché avec lui, est-ce qu’il ne s’est pas senti autorisé à me violer à cause de ça ? »), et même ceux auxquels vous n’auriez pas pensé (« si je pratique la sodomie ? …mais quel est le rapport avec la choucroute ? »).
* Pour les détails dont vous avez honte, ben, si vous ne les citez pas, vous ne citerez plus grand-chose. Vous avez été violé/e : c’est pas chouette, mais c’est pas vous le/a responsable. Vous n’avez pas eu des réactions parfaitement logiques et pragmatiques juste après votre viol : mince alors, vous voulez dire que vous étiez irrationnel/le et traumatisé/e ? Mais comment est-ce que ça se fait, dites donc ?
* Pour les détails dont vous pensez qu’ils vous desserviront, ben, autant que vous les révéliez vous-même. Imaginez le malaise si c’est votre violeur qui les met sur la table. Au lieu d’être de simples circonstances, ils deviendront ses justifications. « Je ne portais malheureusement pas de culotte » vous desservira vingt fois moins que « Elle ne portait même pas de culotte ! » ; « J’avais déjà couché deux ou trois fois avec lui de façon consentie » contre « Mais j’avais déjà couché deux ou trois fois avec elle et elle n’avait pas protesté ! » Posez vos cartes avant qu’il ne les pose. Ne le laissez pas s’accrocher à votre peine pour s’en tirer.
* Pour les détails dont vous ne comprenez pas ce qu’ils viennent faire là : malheureusement, vos pratiques sexuelles intéressent. C’est horrible, ce n’est pas quelque chose que vous avez envie de mêler à votre viol, mais c’est plus ou moins pour calculer votre traumatisme. Si vous êtes vierge et qu’on vous viole, c’est considéré comme plus grave que si vous êtes une vieille pratiquante et qu’on vous viole. Si vous êtes un homme hétérosexuel et que vous êtes violé par un homme, c’est considéré comme plus grave que si vous êtes violé par une femme. Si vous ne pratiquez que la sodomie et qu’on vous viole par le vagin, c’est considéré comme plus grave que si on vous viole par votre voie habituelle. En gros, on veut estimer la saloperie supplémentaire dont a fait preuve votre violeur, l’outrage de plus. (Par exemple, j’ai été violée dans un rapport que mon violeur savait être fécondant, alors qu’il savait aussi que je ne veux pas d’enfant : outrage de plus.)
Ces questions sont-elles toutes justifiées ? Je ne sais pas. Mais c’est la personne en face de vous qui a les clés de votre plainte, qui a le pouvoir de mettre en marche l’appareil judiciaire chargé de résoudre le problème du viol dont vous avez été victime. Vous n’avez pas vraiment le choix. Si c’est trop dur, l’OPJ le sentira parce que ce sera écrit sur votre visage, et il/elle cherchera un moyen de faire sans la réponse.
En gros : l’OPJ pose toutes sortes de question. Répondez-lui, ou pleurez.

Voilà. Si je repense à d’autres choses, je les ajouterai.

vendredi 3 octobre 2014

Bagarre amicale

Une amie me soutient dans l’état où je me trouve. Je ne la remercierai jamais assez de m’avoir écoutée, consolée, et convaincue de porter plainte.

Mais cette amie me soutient également que les hommes hétéros sont généralement incapables de comprendre pourquoi le viol est une telle terreur chez les femmes.

Il est vrai qu’on en trouve encore pour répéter cette superbe maxime : « quand le viol est inévitable, installe-toi confortablement et profite. » Mais je n’aime pas les généralités, et je n’aime pas baisser les bras. Peut-être que certains de ces hommes « incapables de comprendre » sont des hommes qui n’ont pas envie de comprendre. Peut-être (soyons naïf) que c’est justement trop horrible pour eux de s’imaginer à la place d’une femme, et que leur cerveau se censure lui-même.

J’ai déjà entendu, comme réplique à cet argument que les femmes ont peur dans la rue car elles risquent le viol : « les hommes aussi ont peur dans la rue : ils risquent de se faire casser la gueule. »

Alors, raisonnons là-dessus.



Disons que la violence est un instinct naturel de l’être humain. La société la gère de la façon suivante : chacun est invité à utiliser un punching-ball quand il a des envies de violence solitaire, et à trouver un adversaire consentant pour une bagarre amicale quand il a aussi envie de proximité physique. Dans ces bagarres amicales, chacun des deux partenaires donne des coups, en reçoit, transpire, s’amuse et comble là son besoin de cogner. Pères et mères ont un sourire attendri lorsqu’ils découvrent des bandages dans le tiroir de chaussettes de leur progéniture adolescente.

Toutefois, il est clair pour tout le monde qu’il n’est pas agréable de se faire frapper quand on n’a pas envie de violence. Il ne devrait pas être très dur de déterminer, dans cette société, ce qu’est une bagarre amicale et ce qui n’est pas une bagarre amicale.

Votre partenaire a dit « non » et se protège le visage de ses bras sans rendre les coups, et vous continuez à cogner ? Ce n’est pas une bagarre amicale.

Un professeur qui corrige son dernier contrôle-surprise propose une bagarre amicale à un élève et celui-ci a peur pour sa note s’il refuse ? Ce n’est pas une bagarre amicale.

Vous n’acceptez d’être frappé que parce que votre partenaire vous menace avec un couteau ? Ce n’est pas une bagarre amicale.

Vous avez envie de cogner, le punching-ball ne vous tente pas, mais votre partenaire est en train de dormir… donc vous le rouez de coup dans son sommeil ? Ce n’est pas une bagarre amicale.

Quelqu’un a profité de votre coma éthylique pour vous coller des coups de pied ? Ce n’est pas une bagarre amicale.

Que rien de tout ça ne soit une bagarre amicale ne remet pas en cause l’existence des bagarres amicales ou le plaisir qu’on peut prendre à se mettre sur la gueule ; mais une bagarre amicale, une vraie, c’est un moment de complicité où tout le monde est d’accord pour donner des coups et en recevoir.

Oh, j’oubliais. Si la violence ne vous a jamais attiré et que quelqu’un décide de vous casser la gueule pour vous « guérir » : ce n’est pas une bagarre amicale.

Après, on pourrait ajouter que si vous vous faites casser la gueule, beaucoup de gens penseront que vous l’avez cherché. Certains vous demanderont si vous êtes certain que ce n’était pas une bagarre amicale. Peut-être que des gens vous blâmeront pour ce qui vous est arrivé et déclareront qu’ils ne se bagarreraient amicalement avec vous sous aucun prétexte, que vous êtes perdu pour la baston. Peut-être que vous passerez des mois sans pouvoir toucher votre punching-ball au souvenir l’agression dont vous avez été victime.

Reste-t-il encore quelqu’un qui n’a pas compris le problème du viol ?

jeudi 2 octobre 2014

Des questions

Comme je n'avais aucune idée de comment porter plainte, je suis allée voir le CIDFF.

Le CIDFF, Centre d'Information sur les Droits des Femmes et des Familles, propose un service d'assistance juridique pour ceux qui en ont besoin, notamment en cas de violences. J'en ai profité. C'est gratuit, il suffit de prendre rendez-vous, et s'ils demandent bien un nom ils n'imposent pas de donner votre vrai. (Ma première réaction a été "pardon madame, je pensais que c'était anonyme ?")

J'ai rencontré un juriste qui m'a demandé ce qui s'était passé, a noté des détails et a répondu à mes questions.

J'ai appris que je n'avais pas besoin, contrairement à ce que je croyais, de me rendre au commissariat le plus proche du lieu de l'agression pour porter plainte. Mais, si je le fais n'importe où ailleurs, le dossier sera de toute façon transmis au commissariat le plus proche car il sera compétent pour mener l'enquête. Donc bon, pour que ça aille vite, je vais me rendre sur place.

J'ai appris que, peu importe la suite donnée à ma plainte, à partir du moment où la police acceptera de la prendre il en restera une trace. Quand bien même il n'y aurait pas assez d'éléments pour convaincre la justice que mon agresseur m'a effectivement violée, toute sa vie, il aura son nom sur un fichier quelque part. Ce qui signifie que la prochaine fille à porter plainte n'aura pas aucune preuve, elle aura un soupçon qu'il serait quand même étrange qu'un même garçon soit victime de deux fausses accusations de viol de la part de deux femmes qui ne se connaissent pas. C'est pas lourd, mais c'est déjà ça.

J'ai appris que demander à être entendue par une femme au commissariat n'est pas exigeant, mais est considéré comme un droit normal. Quitte à répondre à des questions pointues sur ce qui s'est passé, autant le faire avec quelqu'un qui a moins de chance d'être confondu avec un violeur, je présume ? Je ne sais pas trop quoi en penser.

J'ai appris que les menaces de suicide de mon agresseur sont un point important à signaler au moment du dépôt de plainte. Je n'y avais pas pensé toute seule. Au choix, soit c'est un signe qu'il est rongé par la culpabilité, soit c'était une forme de chantage pour que je renonce à porter plainte.

J'ai appris que je vais devoir justifier de toutes les rencontres avec mon agresseur ayant suivi les faits, parce que le comportement attendu d'une victime de viol est de chercher à éviter son agresseur à tout prix.

J'ai appris que, même si je ne peux pas prouver que j'ai été violée, le fait que je peux montrer que j'ai été prise en charge par un hôpital de la même façon que l'est une victime de viol est un bon point pour moi.

Je suis sortie de ce rendez-vous plus détendue vis-à-vis de la plainte à venir. Au bilan, c'était une bonne chose à faire, et je recommande cette démarche d'aller chercher des conseils auprès d'une association d'aide aux victimes à ceux et celles qui se sentiraient perdus.

Je tâcherai de faire un compte-rendu du dépôt de plainte lui-même.

vendredi 26 septembre 2014

Le pourquoi de la façade

Vous savez ce qu'est la façade. Tout le monde en a une. C'est celle que vous montrez et qui recouvre ce que vous cachez.

Dans le meilleur des cas, votre façade est une part agréable de vous. Vous vous en occupez à peine, parce qu'elle va de soi. Vous êtes un être humain équilibré, relativement content, ça se voit. Félicitations.

Mais certaines personnes ne sourient pas naturellement, ne rient jamais pour de vrai. Je n'en suis pas là. Seulement, parfois, un mot, un souvenir, revient, m'attrape, et me laisse dents serrées, paupières salées, gorge étranglée.

Y a pas à dire. Ma façade craque. Elle a des fuites. La saleté ressort. Et je déteste, vraiment, je déteste afficher ma saleté en public.

Alors, je vais tenter de faire du nettoyage. Public ? Faut croire. Mais planquée. J'ai une identité civile, que je ne vous dirai pas. J'ai une identité web, que je ne veux pas associer à ça. Gingeolin sera un masque utile.

Depuis février, ma façade a acquis un usage très particulier. A savoir, ne pas clamer au monde que j'ai été violée dans mon sommeil par mon meilleur ami dans la nuit du jeudi 6 au vendredi 7 février 2014.

Pourquoi ? Parce que je ne voulais pas que tout le monde le sache. Je ne voulais pas être une victime. Je voulais gérer ça toute seule, en adulte. J'allais commencer un nouveau boulot dans une nouvelle ville, c'était l'occasion de nier, de planquer, de refouler.

J'ai tenu huit mois. 

Je n'ai plus envie de garder ça pour moi. Je veux porter plainte, et, si tout va bien, je vais porter plainte. Tant pis si ça fait de moi une fille avec une mentalité de victime. Je suis usée par le refoulement. J'ai atteint ma limite. En somme, je n'en ai plus rien à foutre, et j'ai les nerfs à arracher le visage de ceux qui me barreront la route.

En faisant des recherches, je n'ai pas trouvé toutes les infos que je voulais sur la démarche de la plainte. Alors, je vais essayer de décrire le plus possible la façon dont ça se passera.

Je suis traversée par des pensées paralysantes et des émotions tueuses. Je vais essayer de les exorciser. Qui sait, je ne suis peut-être pas la seule à les ressentir. Je n'en sais rien. Je ne connais pas d'autre personne violée.

Voilà. Ça va être, en gros, la ligne éditoriale du blog. Je vais tâcher de m'y tenir.
 

Salutations, 

Gingeolin.